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La jeunesse est un naufrage
13 juin 2006

1. Du « jeune» dans la société contemporaine

En cet été 2006, Victor vient de passer le cap qui distingue le « jeune » de l'être humain tel que nous le connaissons : il a tout juste 26 ans. Il n’est pas encore tout à fait travailleur, mais plus vraiment étudiant non plus. Il ne sent pas encore normal.

Jusqu'au jour fatidique de ses 26 ans, Victor pouvait se rassurer en se disant qu'il appartenait à une espèce sociologiquement connue, étudiée et prévisible : le jeune [Genre: jeune. Ordre: étudiant. Espèce: sciences humaines]. Comme la plupart des observateurs s’accordent à le reconnaître, la jeunesse est une sorte de maladie du développement. Le jeune se définit par son âge. De 15 à 25 ans, selon les spécialistes, on attrape se sydrome social particulier, qu’on le veuille ou non. Un jeune se distingue d'un adulte par son comportement (en général), son apparence (souvent) et son discours. Comme les scientifiques ont pu l’observer, le jeune vit en bandes qui vont de deux à plusieurs dizaines d'individus et qu'on nomme des « potes », voire des « tepos » suivant le niveau socio-économique du sujet. Dans sa bande, le jeune s'ébat, communique, folâtre et s'adonne à diverses activités légales (aller à un concert, faire du sport) ou non (se vautrer sur des canapés pour fumer de la drogue, s'envirer dans des bars, boîtes ou autres lieux dédiés à cette pratique). Hors de son milieu par contre, le jeune est comme éteint. Méfiant, il communique peu, devient plus replié sur lui-même. Il peut même se montrer agressif. Mais ce comportement de défense s’efface dés que le jeune est rendu à son biotope.

Comme trois millions de ses congénères, jusqu’à ces dernières semaines, le biotope de Victor était celui de la faculté. Un milieu défini, un écosystème avec ses règles et ses lois, ses ressources et ses prédateurs. Un monde fermé. Mais depuis le 1er mai, Victor a basculé dans un nouvel univers. Tel le saumon qui après avoir grandi dans une rivière, part se reproduire dans la mer à l'âge adulte, le courant a mené Victor vers un nouvel environnement: il a intégré le krill, le phytoplancton qui apporte les protéines indispensables aux grands cétacés de la mer économique que sont les entreprises.

Victor a passé un cap dans son développement, qui va de pair avec la perte de son statut de jeune. Désormais, il appartien au règne des stagiaires. Ordre: journaliste. Espèce: indemniséà 275 euros. Le stagiaire est une transplantation du jeune dans le terreau fertile de l'entreprise. Reconnaissable sur les mêmes critères, le vestimentaire pouvant parfois se rapprocher légèrement plus de celui de l'individu normal, le stagiaire se caractérise par son extrême soumission à son employeur, et sa capacité (qu'elle soit subie ou contrainte) à effectuer des heures supplémentaires. Si le « jeune » lâché hors de son biotope s’étiole et se fane, le stagiaire, au contraire, adopte le comportement de tout jeune mammifère à l’âge de l’aguerrissement : à la fois pataud et infatiguable, il s’élance de tous côtés, affichant en permanence un souci de faire plaisir et de contenter tout un chacun. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’entreprise est si friande de stagiaires : là où un salarié nanti d’un contrat à durée indéterminée va renâcler, le stagiaire au contraire va se précipiter, langue pendante, dans l’attente future d’un éventuel susucre, distillé sous forme de compliment que son cerveau fertile ne va pas manquer d’associer à ses rêves de promotion.

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